Pour éviter un effondrement incontrôlable de notre civilisation, la solution la plus souvent proposée est de décroitre nos activités industrielles.
Le problème de la croissance à tout prix étant mondial, les stratégies de décroissance devraient l’être aussi.
De nombreuses stratégies sont proposées afin d’éviter toutes les mauvaises nouvelles annoncées concernant l’avenir. Elles ont toutes en commun une volonté de décroissance des activités humaines soutenues par les énergies utiles. Selon les défenseurs de ces stratégies, sans rien perdre des bienfaits de la civilisation, mais en modifiant drastiquement nos comportements mercantiles, en adoptant d’autres sources d’énergie, d’autres moyens de transports, d’autres méthodes d’agricultures, etc., nous pourrions arriver à ce que notre civilisation soit durable et soutenable.
Les stratégies qui retiennent la plus grande attention sont à ce jour : la simplicité volontaire1, la troisième révolution industrielle2, la transition écologique3 ou énergétique4, la lutte contre les changements climatiques5, la décroissance programmée de notre système économique6,7,8 et l’application du principe des CEREMOVI9 dans une majorité de pays. Il est vrai que ces stratégies vont dans la bonne direction, mais il est aussi fort probable qu’elles arrivent trop tardivement et ne soient pas suffisamment holistiques. Les défenseurs de ces stratégies préviennent que, si les mesures qu’ils préconisent ne seront pas entreprises à temps, les risques d’effondrement de notre civilisation sont grands. Toutefois, avant de prétendre que telle ou telle stratégie sauvera notre civilisation, un certain nombre de questions sur leur faisabilité en un temps si court devrait être envisagé.
Nous pourrions par exemple nous poser les questions suivantes :
1°) Parmi les nombreuses approches proposées, laquelle devrait être prioritaire et sur quels critères se baser ?
2°) Quels serait le délai pour leur mise en œuvre dans les différentes parties du monde ?
3°) Est-il raisonnable de penser que toutes les grandes puissances industrielles et économiques entreprennent d’un commun accord une stratégie de décroissance sous l’impulsion de leurs chefs politiques ou d’une institution comme l’ONU ?
4°) Jusqu’où serait-il nécessaire de décroître pour assurer la durabilité de la civilisation mondialisée et quel flux maximum d’énergie peut-on garantir durablement au niveau mondial ?
5°) Est-ce que la mise en pratique des approches proposées est compatible avec le principe de démocratie ou faudrait-il obligatoirement une gouvernance mondiale autoritaire pour gérer les flux d’énergie et de matière alloués durablement à chaque pays ? Quelles en seraient les répercussions sur la perte de liberté nationale et individuelle et sur le bien-être social ? Qu’elle serait la résilience des peuples envers les changements imposés par une gouvernance mondiale ?
6°) Existe-t-il un outil économique faisant consensus et reconnu capable d’aboutir à de tels changements socio-économiques ? Sinon, combien de temps serait-il nécessaire pour le créer et le développer ?
7°) Existe-t-il une méthode pour évaluer les chances de réussite d’une approche de gestion de risques avant de mettre en pratique ces changements ?
Remarquons encore que toutes les stratégies proposées cherchant à rendre durable notre civilisation imposent des changements considérables au sein de notre paradigme sociétal. Mais changer un paradigme de cette importance demande une modification drastique de la manière de penser et d’agir. Si cela ne devait concerner qu’un relativement petit groupe d’êtres humains, tous les espoirs seraient permis. Mais il s’agit de modifications fondamentales au sein d’une population mondiale très hétérogène à plusieurs égards. Dès lors, il faut s’attendre à ce que de grandes forces d’inertie s’opposent à cette modification ou au mieux freinent grandement la vitesse de ces changements. A-t-on alors la moindre idée du temps minimum nécessaire pour qu’un tel changement se fasse ? Si cette durée devait être bien supérieure à celle relativement courte qui nous sépare de l’effondrement présumé, alors ne vaudrait-il pas mieux consacrer le temps restant à s’organiser pour affronter ce qui nous attend et se concentrer sur ce qui pourrait encore être sauvé ?
Nous devons nous rappeler que la difficulté à éviter un obstacle augmente exponentiellement au fur et à mesure que diminue le laps de temps séparant le début de la manœuvre d’évitement d’avec celui de la collision prévue. Ceci implique que la stratégie d’évitement, jugée valable au moment de son étude, risque de ne plus l’être au moment de sa mise en œuvre, car entretemps, le problème aura grossi exponentiellement. Si de plus nous continuons à procrastiner en exigeant des preuves mathématiques impossibles à fournir, si nous continuons à proposer des stratégies intellectuellement et humainement séduisantes mais inapplicables, si les points d’interrogation et les différentes visions mentionnées plus haut ne restent que purs sujets de polémiques ou d’opinions, alors nous perdrons cette course contre la montre. Nous arriverons à une limite temporelle, si même nous ne l’avons pas déjà atteinte, au-delà de laquelle plus aucune action ne pourra protéger l’humanité d’un délitement progressif et irréversible de notre civilisation. La disparition de cette dernière aura très probablement bel et bien lieu. Si on peut être sûr que ce sera un bienfait pour les dizaines de millions d’espèces biologiques qu’abrite notre biosphère, nous ne pouvons pas être aussi affirmatifs en ce qui concerne la nôtre. La réponse va dépendre de ce que les nouvelles générations d’humains seront capables de créer comme nouvelles organisations sociétales. Nous en reparlerons plus tard.
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1 https://fr.wikipedia.org/wiki/Simplicit%C3%A9_volontaire
2 https://fr.wikipedia.org/wiki/Troisi%C3%A8me_r%C3%A9volution_industrielle
3 https://fr.wikipedia.org/wiki/Transition_%C3%A9cologique
4 https://fr.wikipedia.org/wiki/Transition_%C3%A9nerg%C3%A9tique
5 https://www.banquemondiale.org/fr/news/feature/2014/12/04/fighting-climate-change-and-poverty
6 Nicholas Georgescu-Roegen : La décroissance, Entropie-Ecologie-Economie, présentation et traduction de Jacques Grinevald et Ivo Rens. Ed.: Sang de la Terre, 2011
7 Serge Latouche, L’invention de l’économie. Ed.: Albin Michel. 2005
8 Gilbert Rist : L’économie ordinaire entre songes et mensonges. Ed. : SciencesPo Les Presses, 2010
9 Jacques Niederer : Effondrement puis métamorphose, 2011 . http://www.inlibroveritas.net/oeuvres/29158/effondrement-puis-metamorphose, page 157 et suivantes
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