Est-ce que notre civilisation pourra ad vitam æternam garantir les flux d’énergie et de matière dont elle a obligatoirement besoin pour fonctionner ?
Notre système économico-industriel, guidé par l’insatisfaction permanente qui caractérise le mode de pensée de notre civilisation, oblige à des flux toujours croissants d’énergie et de matière.
Il est à noter que ce sont les flux qui sont primordiaux pour faire fonctionner notre système économico-industriel et non le contenu des réservoirs de source d’énergies ou de matières. Tant que ces flux sont suffisants, le système économico-industriel croît de lui-même. Plus le système grandit en complexité, plus augmente l’importance de l’accroissement annuel de ces flux pour faire fonctionner et entretenir le système. Imaginons que la croissance annuelle d’un flux donné soit de 1 %. Quand ce flux valait 1000 unités/an, son accroissement annuel était de 10 unités/an. Mais quand ce flux atteint 1 milliard d’unités/an, son accroissement annuel est alors de 10 millions d’unités annuelles. Ainsi, garantir ces flux devient chaque année de plus en plus difficile, jusqu’à devenir impossible. Dans un système fini, ces accroissements de flux ne peuvent pas tendre vers l’infini. Ce qui veut dire que le taux de croissance à un instant donné (exprimé en % du flux à cet instant) ne peut être constant, car, dans un monde fini, une exponentielle ne peut durer qu’un temps limité. La théorie des rendements décroissants illustre ceci. Elle nous dit qu’à un moment donné, le taux de croissance tend à devenir de plus en plus faible, passe par un taux nul, pour ensuite carrément devenir négatif. Pourquoi cela ?
Parce que les richesses minérales se trouvant dans les entrailles de la Terre ne sont pas uniformes. En effet, les richesses minérales primaires comme le cuivre, l’uranium, le pétrole, le gaz, le charbon, etc., sont distribuées de manière très hétérogène à la surface de la Terre. Elles se présentent parfois en gisements abondants et d’autres fois en faibles quantités dispersées. Les gisements peuvent être affleurants ou à l’inverse profondément enfouis. Dans certains cas, les matières primaires ont un degré de pureté élevé, alors que dans d’autres, il faut plusieurs transformations avant d’avoir la matière souhaitée appelée ici matière utile.
De ce fait, les taux annuels d’extraction de matières premières dans le monde obéissent à la règle des rendements décroissants1. Cette règle décrit la propension naturelle à exploiter d’abord les richesses abondantes et/ou faciles d’accès et à garder les autres pour plus tard. Si bien qu’au niveau mondial, le taux annuel d’extraction d’une richesse minérale présente toujours le même type de courbe en fonction de ses années d’exploitation. Après un départ timide, le temps de gagner de l’expérience pour affiner les méthodes d’extraction et trouver des marchés pour écouler les produits extraits, le taux annuel d’extraction progresse rapidement au cours des années, souvent d’une manière exponentielle, correspondant aux exploitations faciles. Suit un point d’inflexion dans la progression du taux d’extraction, montrant un premier ralentissement. Au fur et à mesure que les richesses deviennent difficiles à exploiter, le taux annuel d’extraction tend à progresser de moins en moins vite jusqu’à atteindre un point d’accroissement zéro. Cette zone est souvent appelée pic de Hubbert2 du nom du géologue américain qui le premier a prédit cette courbe.
Une fois le pic ou le mini plateau d’extraction atteint, son taux annuel diminue graduellement, car, à ce moment, il ne reste pratiquement plus que les minerais difficiles d’accès ou de puretés moindres ou trop dispersés. Marion King Hubbert a démontré que la courbe théorique d’extraction annuelle en fonction du temps prenait toujours l’allure d’une courbe en forme de cloche.
En 2014, j’ai mis sur le web un site illustrant entre autres ces notions de rendements décroissants appliqués à l’extraction mondiale d’énergie fossile3. Résultat : si le paradigme économico-industriel qui nourrit notre civilisation devait rester le même, alors le pic du flux d’énergie nette (voir blog du 4 décembre 2022) provenant de l’ensemble de toutes les énergies fossiles (tous les types de pétrole, tous les types de charbon et tous les types de gaz) devrait avoir lieu quelque part au début de la seconde moitié de ce siècle. Une fois passé le pic, ou le mini plateau, chaque année, la civilisation mondialisée devrait perdre quelque chose comme 2 à 4 % du flux d’énergie fossile au moment du pic. Afin que notre civilisation ne s’effondre pas, cette perte devra être compensée de manière synchrone par des flux venant de source d’énergies dites alternatives comme celles des barrages hydroélectriques, des centrales nucléaires, des énergies marémotrices et géothermiques, des énergies solaires et éoliennes, etc. Toutefois, il est montré qu’il est très peu probable que l’industrie mondiale puisse compenser de manière synchrone ces diminutions toujours plus importantes du taux d’extraction d’énergies fossiles, même au cours des 25 années qui suivront le pic de production globale. Quant aux 25 années suivantes, cette probabilité tombe à zéro étant donné qu’en plus de la diminution du taux annuel d’extraction des énergies fossiles compensée par des énergies alternatives de substitution, une fraction de ces dernières devra être utilisée pour remplacer tous les anciens systèmes de production d’énergies alternatives dont la durée de vie n’est que de quelques décennies. En clair, cela signifie que, faute de flux d’énergie et de matière suffisante, la probabilité de voir décroître fortement l’économie mondiale durant la seconde moitié de ce siècle est très grande. Les personnes intéressées par le sujet et qui aimeraient plus d’explications peuvent consulter le 6ème et le 7iéme exposé de mon site4 de 2014, encore consultable sur Internet.
La réponse à la question de départ est clairement non.
Les pertes de flux d’énergie entraîneront de graves récessions économiques. Leur gravité différera dans le temps et l’espace sur notre planète. Toutefois, dans l’ensemble, ce phénomène irréversible sera probablement une des causes majeures du délitement progressif et continuel de l’ensemble de notre civilisation mondialisée. S’ajoureront à cela les changements climatiques, la perte de biodiversité, l’appauvrissement des terres agricoles, les agressions bactériennes et/ou virales, ainsi que notre auto prédation se manifestant de plus en plus par la haine des humains envers les autres humains. Cette haine se manifestera comme toujours par des guerres, des révolutions destructrices et du vandalisme compulsif.
Toutes ces horreurs ne seront en fait que la manifestation de la rétroaction de la biosphère envers son prédateur principal : notre civilisation. Quand le total des activités humaines au sein de la biosphère sera revenu à sa portion congrue, la pression que notre civilisation exerce sur la biosphère se relâchera, permettant à cette dernière de retrouver un nouvel équilibre auquel notre espèce devra s’adapter pour survivre.
Nous verrons dans le prochain blog ce qui pourrait se passer dans un espace économique donné, si les flux d’énergie pour alimenter notre civilisation ne seraient plus suffisants.
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1 https://fr.wikipedia.org/wiki/Pic_de_Hubbert
2 https://www.durabilitedudeveloppementdurable.com/preacutevision-concernant-la-variation-des-taux-dextraction-de-lensemble-des-eacutenergies-fossiles-au-cours-des-anneacutees-agrave-venir.html
3 https://www.durabilitedudeveloppementdurable.com/
4 https://www.durabilitedudeveloppementdurable.com/les-10-exposeacutes.html
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