Est-ce que les campagnes médiatiques pour sauver la planète sont suffisamment rassembleuses pour entreprendre un projet commun ?
Il ne se passe pas une seule journée sans que les média ne nous décrivent une catastrophe écologique liée directement ou indirectement au réchauffement climatique. Il ne se passe pas une campagne électorale sans que les candidats ne mentionnent leur programme écologique et la lutte qu’il propose de mener contre ce réchauffement. Mais comment les populations, du moins celles vivant sous nos latitudes, se positionnent-elles par rapport à cette effervescence autour du climat et des problèmes écologiques dénoncé par ces campagnes ?
Au sein de ces populations, il y a :
– les fatalistes pour qui notre destin est tout tracé ; il n’y a rien à faire.
– les conservateurs, pour lesquels le mieux est le statu quo. Ces derniers demandent de faire confiance à l’élite mondiale, jugée comme la seule en mesure de contrôler la situation.
– les progressistes qui ne font plus confiance au système et réclament des changements dans l’approche économique de leur pays.
– les écologistes. Les moins agressifs d’entre eux veulent responsabiliser chacun en leur demandant de faire au quotidien toute une série « de petits gestes pour sauver la planète ». Les plus anxieux craignent soit un effondrement de notre civilisation thermo-industrielle dans un avenir très proche, soit un avenir apocalyptique dû aux changements climatiques. Les plus agressifs réclament à leur gouvernement des mesures drastiques pour stopper ce réchauffement et n’hésitent pas à mener des agressions coup de poing.
Revenons plus en détail sur ces groupes.
Les fatalistes
Les fatalistes sont en général d’accord, intuitivement, pour affirmer que l’humanité coure à sa perte, sans trop savoir pourquoi et sans trop réaliser ce que cela signifie. La possibilité d’un effondrement de notre civilisation dans un proche futur, qu’ils croient ne pas être le leur, ne les choque pas, bien au contraire. Ils pensent même que ce ne seront que les prémisses à l’extinction de notre espèce. Souvent, ils admettent implicitement que l’Homo sapiens porte en lui le germe de son autodestruction. Après moi, le déluge pourrait résumer cette philosophie fataliste.
Indiscutablement notre espèce, comme toutes les autres, n’a pas une existence infinie et donc, tôt ou tard, elle devra disparaître. C’est le propre de toute Existence (voir blog du 21/08/22). Intellectuellement, nous ne pouvons pas rejeter ce type de raisonnement, mais rien ne prouve que les menaces qui pèsent actuellement sur l’humanité signifient sa disparition prochaine et prédestinée. Dans l’incertitude, nous pouvons admettre, ou du moins espérer, que ce qui nous arrive n’est pas nécessairement l’annonce de cette fin prochaine, mais peut-être le début d’une évolution de l’Homme vers d’autres modes d’existence plus conformes à ses besoins fondamentaux et aux lois de la Nature.
Utiliser l’argument comme quoi la fin prochaine de notre espèce est une fatalité incontournable, dans le seul but de se disculper de toute responsabilité et ainsi justifier de ne faire aucun effort pour améliorer la situation, représente des formes inconscientes de lâcheté et d’égoïsme.
Les conservateurs
Les conservateurs préconisent généralement le statu quo. La plupart des membres de ce groupe sont ceux que le système sert le mieux. Le plus souvent, ce sont des gens formés dans des universités, des chefs d’entreprises, de start-up, de systèmes financiers, etc. C’est d’ailleurs dans ce groupe que l’on trouve le plus de climato-sceptiques. C’est normal. Ces gens ne peuvent pas imaginer que le génie humain, dont ils sont les principaux contributeurs, puissent avoir construit un système qui va s’autodétruire dû à leur suractivité. Bien au contraire, ils pensent que nous ferions mieux de continuer à faire confiance à leur fameux génie, plutôt que d’inventer des théories destructrices de progrès et parfaitement inapplicables à leurs yeux. L’argument souvent mis en avant par ceux qui adhèrent à ce point de vue est que l’histoire nous a démontré que l’Homme a toujours su trouver une solution à tous les problèmes et même à ceux qu’il a lui-même créés.
C’est vrai ! Mais trouver une solution ne dit pas qu’elle soit nécessairement la bonne. En fait, en y regardant de plus près, la plupart des solutions qui ont été trouvées jusqu’ici par le génie humain n’ont pas vraiment résolu les problèmes. Elles les ont le plus souvent seulement déplacés, en les rendant encore un peu plus ardus. Voir chapitre 9 de mon livre.
Les progressistes
Les plus modérés ne remettent pas en cause le système, mais réclament urgemment des mesures politico-scientifico-économiques pour mieux utiliser les ressources naturelles et investir largement dans la recherche pour préparer le futur.
Les moins modérés ne font plus confiance au système économique de leur pays. Dans les pays riches, ils s’inquiètent de la surconsommation et préconisent des formes de décroissance. Dans les pays nettement moins riches, c’est le contraire : ils réclament plus de croissance pour pouvoir créer plus d’emplois, plus de consommation, plus de richesses. Comme la population de ces pays est bien supérieure aux pays riches, le résultat final est une augmentation du total des activités humaines au niveau de la planète.
Les écologistes
Au cours de ces deux ou trois dernières décennies, le nombre de mouvements et d’associations se mobilisant pour un monde meilleur s’est fortement accru. On appelle leurs adhérents des écologistes. Ils rêvent d’un monde plus juste, plus respectueux de l’environnement, des gens et des animaux. Ils se font l’avocat de la décroissance programmée, de l’agriculture biologique et de proximité, de la permaculture, des jardins bio, d’une alimentation plus saine, de l’utilisation de monnaie alternative, de la promotion d’énergies renouvelables, d’initiatives de transition, de la simplicité volontaire, de l’éco-construction, du développement durable, de l’éco-citoyenneté, de la défense de la biodiversité, de la mobilisation contre la libéralisation des marchés et de leur mondialisation, des techniques de résilience pour affronter l’après pétrole etc., etc. La multiplication de ces initiatives dans le monde occidental est plutôt impressionnante. Elle est symptomatique du malaise ressenti par certains sur le fonctionnement de notre paradigme économico-industriel. Ces mouvements et initiatives sont loin d’être injustifiés ou même inutiles. Ils ont le mérite de réveiller les consciences, de montrer que nous devrions changer notre façon de penser et donc notre façon d’agir. Ils démontrent aussi que, pour une population grandissante, les attitudes des fatalistes et des conservateurs n’ont plus leur place.
La crainte la plus souvent mentionnée par les écologistes est celle du réchauffement climatique. Ce dernier a été surmédiatisé par des orateurs de renom. Les menaces d’une montée subite des eaux, des forêts en feu, des sécheresses et des inondations cataclysmiques ont fortement frappé les esprits. Des films, des conférences relatées par la presse et la télévision ont sensibilisé une partie de la population devenue écologiste. Cette dernière s’est mobilisée et est partie (en ordre dispersé) pour « sauver la planète ».
Les âmes les plus sensibles, les personnes les mieux intentionnées, les inquiets, les opportunistes, et tous ceux qui ont le temps de faire leur compost au fond de leur jardin, de pratiquer la permaculture dans leur propriété à la campagne, de laisser leur voiture au garage et prendre leur vélo pour aller chercher le pain, sont devenus les nouveaux chevaliers verts. Bien qu’ils se veuillent tous positifs, ludiques, de bonne volonté, exaltant le partage et l’entraide, ce mouvement fait appel à des gens qui n’ont pas le ventre creux. L’effort demandé aux citoyens des pays riches et puissants est bien en dessous de ce que la majorité du reste du monde accomplit déjà tous les jours.
Quoi qu’il en soit, l’écologie s’inscrit parfaitement dans notre paradigme économico-industriel et est donc parfaitement acceptée par le système, pour ne pas dire utilisée. En effet, la seule lutte contre les gaz à effet de serre se chiffre, au niveau mondial, en millier de milliards de dollars. L’écologie a ça de bon qu’elle crée des emplois, des recherches de nouvelles technologies dites « propres » ou vertes et tout une série de nouveaux marchés bons à prendre, du moment que ça rapporte.
Les effondristes
Depuis une dizaine d’années, en particulier dans les pays riches, de nouveaux mouvements, dits d’effondristes, se sont créés après que certains chercheurs aient redécouvert le rapport Meadows, sorti en 1972. Parmi ces mouvements, il y a celui des collapsologues, assez actifs en France, et celui des survivalistes, que l’on retrouve un peu partout. Ce sont les prédictions du rapport Meadows, mises en parallèle avec les menaces du GIEC, qui ont poussé ses adhérents à se persuader d’une fin du monde très proche. Chacun d’eux enseigne des techniques de résilience pour survivre aussi longtemps que possible. Pour les survivalistes, ce sont des techniques de chacun pour soi, alors que pour les collapsologues le salut se trouve dans l’entraide.
Fatalistes, conservateurs et progressistes forment le gros de la population. Les environnementalistes ou écologistes, ceux qui ont envie de mouiller leur chemise pour défendre leur idéal, sont relativement nombreux parmi les jeunes étudiants. Toutefois, la plupart d’entre eux changent d’attitude très rapidement lorsqu’ils entrent dans la vie professionnelle. Les effondristes qui étaient bien écoutés au départ du mouvement semblent actuellement s’essouffler quelque peu.
Pour répondre à la question de départ.
Les campagnes médiatiques de lutte contre le changement climatique ont échoué à rassembler les gens autour d’un projet commun. Bien au contraire, elles ont créé des tensions de plus en plus fortes entre les personnes jugées comme des pollueurs, destructeurs de la planète et celles qui pensent que la solution est dans les progrès techniques et scientifiques. L’échappatoire à cette anxiété est le plus souvent la distraction. Ses différentes formes sont nombreuses: manifestations sportives, grands festivals de musique populaire, films, séries télévisées, jeux vidéo, voyages touristiques et autres. Pour nos gouvernements, il n’y a aucune raison de combattre ce malaise collectif car il ne porte pas atteinte à notre paradigme économico-industriel, bien au contraire. Il génère des emplois et des déplacements de foule générant des revenus financiers importants. Si elle est profitable, elle est bonne pour notre paradigme même si elle est mauvaise pour la psyché des populations ou pour la biosphère. Finalement, la proportion de la population prête à s’investir dans un projet commun est très faible, voire extrêmement faible. L’écologie constitue avant tout un sujet de discussion. Ça sert aussi d’alibi au marketing. L’écologie influe parfois sur certaines de nos actions quotidiennes pour se débarrasser de la culpabilité de nuire à la planète, à condition que notre porte-monnaie le permette. Elle peut aussi influencer le choix de nos envies, mais pas beaucoup plus. En effet, nos problèmes quotidiens sont de loin supérieurs à ce qui pourrait arriver à l’avenir. La réduction significative des combustibles fossiles recommandée par le GIEC est perçue par les individus comme un problème global pour lequel ils ne se sentent pas habilités. Par contre, si les solutions et les mesures étaient locales, il pourrait y avoir beaucoup plus d’initiatives à la base pour trouver des solutions viables. Nous en parlerons lors du prochain blog.
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