Ce qui pourrait arriver, dans un espace économique donné, si les flux d’énergie pour alimenter notre civilisation n’étaient plus suffisants.
Le texte qui suit est extrait de mon site écrit en 2014 « La fin du développement durable et de notre civilisation1 »
Dans un premier temps, la baisse des flux d’énergie peut avoir des effets semblables à ceux d’une récession économique2, mais la comparaison s’arrête là, car les mécanismes en jeu sont différents. Le plus souvent, les récessions économiques font suite à une crise financière ou à l’éclatement d’une bulle d’un secteur économique. Mais en général, à part les récessions économiques en cas de guerre, ces crises ne sont pas liées à l’incapacité de produire en raison du manque de machines, de travailleurs, de matières première ou d’énergie. Le plus souvent, elles prennent naissance quand l’offre est supérieure à la demande. Ces crises sont des phénomènes inhérents à notre système économique et financier incapable de réguler l’offre et la demande sur le long terme. Elles deviennent alors des nécessités pour éviter l’emballement économique. Elles représentent autant de coups de frein absolument nécessaires pour éviter une sortie de route. Une fois la crise stabilisée, il suffit d’ajuster certaines valeurs du marché, par exemple en créant pratiquement ex nihilo de nouveaux capitaux, en diminuant les salaires, en licenciant des catégories sociales et la machine va pouvoir accélérer à nouveau jusqu’…au prochain risque de sortie de route.
La situation est tout à fait différente lorsqu’une récession se transforme en dépression3 due à une diminution permanente des flux d’énergie et de matières nécessaires au bon fonctionnement des sociétés. Dans ce cas, c’est la demande qui ne peut plus être satisfaite. La dépression se manifeste alors par le ralentissement toujours grandissant du triplet travail-production-consommation par manque d’énergie (et de matière première). Si, dans une crise économique, il est toujours possible de stimuler la consommation en injectant des capitaux créés à partir de rien, c’est-à-dire, en faisant fonctionner la machine à billets, il n’est pas possible de le faire avec l’énergie. En effet, comme nous l’avons vu dans le blog du 4 décembre, on ne peut pas créer de l’énergie à partir de rien.
Il n’y a donc pas de remède pour maîtriser ou atténuer ce type de récession qui va inévitablement converger vers une dépression économique permanente.
La baisse annuelle des flux d’énergie exogène se traduira par une augmentation immédiate du coût de l’énergie (toutes sources confondues), puis par une diminution progressive de la plupart des activités rétribuées dans les différents secteurs économiques.
Si dans un premier temps, l’effet se limitera à une augmentation du coût de la vie pour tout le monde avec une diminution correspondante de la consommation, graduellement et progressivement, la baisse des flux d’énergie va entraîner la fermeture des grandes, moyennes et petites entreprises. De même, les services publics et tous les services du tertiaire devront licencier de plus en plus massivement puis, pour certains, fermer leur porte. La perte de confiance dans le système va paralyser les investisseurs ainsi que l’obtention de crédits. Le taux de chômage grimpera en flèche. La diminution des activités salariées va faire dégringoler le PIB et simultanément les recettes de l’État. Les premiers affectés seront certainement les services sociaux. L’État deviendra donc de moins en moins efficace pour aider des foules de plus en plus dans le besoin par pertes de leurs revenus.
L’État sera alors obligé d’augmenter les impôts de ceux qui ont encore des revenus et des richesses. Afin de ne pas déclencher d’émeutes, l’État tentera d’emprunter autant que possible afin de relancer l’économie ou financer l’aide sociale. Il ne trouvera malheureusement que peu de bailleurs de fonds prêts à risquer leur argent ou alors seulement à des taux très élevés. Le cercle vicieux de la dette et du ralentissement économique va se mettre en marche. Par la force des choses, même si, à ce moment, il y aura encore des régimes de gauche, nous devrions nous attendre à une forte réduction des prestations sociales pour les pauvres dont la fraction ne cessera d’augmenter. Les troubles sociaux qui en résulteront augmenteront la perte des libertés individuelles de chacun.
Le fossé entre riches et pauvres ne fera que se creuser davantage attisant encore plus l’instabilité sociale. Le marché noir, les grèves, les actes de vandalisme, les troubles civils, le banditisme, les abus de confiance et les escroqueries de toute sorte seront en forte hausse. Le sentiment d’insécurité, la méfiance de chacun envers les autres se développera progressivement, rendant la vie quotidienne insupportable. Parce que tous ces facteurs sont absolument défavorables au développement économique, la dégradation de la situation ne fera que s’amplifier d’année en année.
Les libertés individuelles se rétréciront comme peau de chagrin. Ce ne sera toutefois pas là une solution, car les gouvernements devront ployer sous les dépenses engagées pour contenir leur peuple en colère. L’augmentation des effectifs de police, des troupes spéciales anti-émeute, la multiplication des lieux de détention coûteront très cher. Peut-être même devront-ils mobiliser des troupes à leurs frontières pour se protéger d’agressions extérieures ou d’immigration massive et sauvage venant de régions encore plus défavorisées. L’argent dépensé pour maintenir ce semblant d’ordre se fera bien sûr au détriment du bien-être social, accélérant encore la destruction de structures privées et publiques. Certains organismes privés, certains professionnels chercheront à se délocaliser, aggravant encore un peu plus la situation. Plus les années passeront, plus l’État deviendra exsangue financièrement, l’obligeant à limiter encore davantage ses dépenses pour l’aide au commerce, à l’industrie, à l’agriculture, à l’éducation, à la santé, à la prévention des épidémies et de famines, à l’aide au logement et de la famille. La différence de qualité de vie entre une minorité de privilégiés et une énorme foule de gens de plus en plus affamée, maltraitée, humiliée et désespérée, perdant toute confiance envers leur gouvernement, atteindra son paroxysme et entraînera peut-être de graves révolutions.
Bien qu’il soit impossible de donner un scénario exact de ce qui pourrait arriver, on peut imaginer qu’à ce stade, nous avons deux sortes de possibilités :
Première possibilité : des chefs de guerre de tout bord tenteront de prendre le pouvoir. Les révolutions qu’ils défendront ne résoudront rien. Elles seront suivies par d’autres révolutions toutes aussi désastreuses. Une multitude de seigneurs de guerre et de terroristes de toutes sortes se battront les uns contre les autres avec, comme conséquence, la destruction presque totale des structures de leur espace économique. On assistera vraisemblablement à un exode massif des populations, ainsi que des biens et des services. Tous essayeront de converger vers les régions apparaissant en mesure de leur offrir une meilleure chance de survie. Ce faisant, ils abandonneront leur région d’origine encore un peu plus au chaos, tout en affaiblissant les régions où ils auront choisi d’immigrer.
Les structures fournissant l’énergie, les matières premières minérales, les matériaux utiles, la nourriture et l’eau potable seront sérieusement endommagés. Cela pourrait conduire à la résurgence de maladies infectieuses telles que la tuberculose, le choléra, la poliomyélite, l’hépatite virale, la peste, la lèpre, la fièvre jaune et bien d’autres encore qui s’étendrons rapidement à d’autres régions. Les maladies sur lesquelles se concentrent aujourd’hui la recherche médicale, comme les cancers, les maladies cardiovasculaires et les maladies neurologiques, tels Alzheimer, ne représenteront plus un problème majeur, car ces maladies dégénératives touchent essentiellement les populations âgées qui, à ce moment, se feront de plus en plus rares. Le taux de mortalité élevé basculera du côté des jeunes.
Souvenons-nous que nos systèmes complexes ne fonctionnent bien que s’ils reçoivent les flux adéquats d’énergie et des matières premières. Mais ce n’est pas tout. Il faut encore que tout le monde soit présent à son poste de travail et avoir les qualifications requises pour faire son travail correctement. L’agitation sociale, l’augmentation de la mortalité dans les forces vives du pays, l’absentéisme dû aux maladies et au manque de soins, la désintégration du système de formation professionnelle et de toute l’infrastructure éducative, conduira à une situation dans laquelle de moins en moins d’individus hautement qualifiés seront présents sur leur lieu de travail. Les conséquences économiques seront désastreuses, mais les conséquences écologiques le seront encore plus. En effet, imaginons ce qu’il pourrait arriver, par exemple, aux centrales nucléaires en l’absence d’un personnel suffisant et qualifié pour garantir un certain niveau de sécurité. La même chose vaut pour la sécurité aérienne, la sécurité alimentaire et de la qualité de l’eau potable, la sécurité du stockage des marchandises dangereuses, l’élimination et le recyclage des déchets de toute sorte, etc. Des catastrophes du genre de Seveso, Bhopal, Tchernobyl ou Fukushima sont susceptibles de devenir nettement plus fréquentes. Il faut aussi s’attendre à d’autres désastres dus à d’importantes coupures de courant électrique provenant de déséquilibres dans les réseaux électriques. Ces black-outs sont susceptibles de devenir de plus en plus fréquents, de plus longues durées et concerner des régions de plus en plus étendues. Ils entraîneront à leur tour d’autres désastres.
Parce que dans un système complexe, tout est lié, le délitement d’une structure d’une région économique donnée, entraine nécessairement le délitement d’une autre et ainsi de suite, accélérant ainsi le mouvement de destruction généralisée. À ce stade, il ne sera plus possible d’inverser la tendance. Il sera même trop tard pour l’arrêter. Tout va inexorablement évoluer vers le délitement graduel mais complet de notre civilisation économico-industrielle.
Deuxième possibilité. Certaines puissances économiques et industrielles, non encore dans la tourmente, peuvent craindre des immigrations massives de populations en détresse et une destruction indirecte de leur système économique. Pour s’en protéger, ils pourraient procéder à une invasion « préventive » des zones en détresse et les coloniser à leur propre avantage. Toutefois, en raison d’un flux global d’énergie de plus en plus faible, il ne sera plus possible, comme aujourd’hui, de reconstruire les pays envahis puis les transformer en un fidèle partenaire commercial. L’envahisseur ne pourra agir que comme un colonisateur et traiter les populations soumises pratiquement comme des esclaves. Il utilisera à son profit exclusif ce qui reste de la richesse de ces pays.
Ce genre de situation risque de durer aussi longtemps que l’envahisseur reste fort sur tous les fronts. Au moindre signe de faiblesse, les populations soumises se révolteront en détruisant tout, jusqu’à ce qu’une autre puissance intervienne pour mettre tout le monde sous son autorité. Ainsi, étape par étape, le chaos va s’étendre à différentes parties du monde civilisé. Le commerce mondial, sur lequel est basé la prospérité de notre civilisation industrielle mondialisée ne sera plus possible dans ce monde chaotique. Il y a un risque que les dernières grandes puissances encore préservées, cherchent à imposer leur suprématie pour dominer tout le globe. Le risque est d’entraîner le monde entier dans une guerre apocalyptique qui mettrait un point final à cette civilisation et peut-être même à l’humanité.
Bien que ces deux scénarios ne soient pas certains, ils sont loin d’être impossibles. Quoi qu’il en soit, ce qui pourrait arriver dans l’avenir n’est pas quelque chose que nous pouvons prouver ou réfuter. Le seul fait que ce qui a été décrit ici soit du domaine du possible, nous oblige à évaluer cette probabilité et entreprendre tout ce qui est possible pour en atténuer les effets. La première idée qui vient à l’esprit est de tout faire pour décroître nos besoins en flux d’énergie et de matière. Mais est-ce possible ? Nous traiterons de ce sujet dans le prochain blog
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1 https://www.durabilitedudeveloppementdurable.com/exemple-pour-un-espace-eacuteconomique-donneacute.html
2 https://fr.wikipedia.org/wiki/R%C3%A9cession_%28%C3%A9conomie%29
3 https://fr.wikipedia.org/wiki/D%C3%A9pression_%28%C3%A9conomie%29
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