Abordons le même problème que nous avons traité jusqu’ici mais cette fois sous l’angle de la théorie des systèmes complexes.
Système complexe et système compliqué dans un monde fait de matière et d’énergie.
Il y a plusieurs définitions1 de complexe et compliqué sans qu’il y en ait une qui soit universelle. Elles dépendent des systèmes traités et des auteurs. Ainsi, les définitions qui seront données ci-dessous doivent être vues comme des représentations de l’esprit devant aider à pouvoir progresser dans les raisonnements propres au sujet traité ici et éviter toute ambiguïté avec d’autres définitions.
Dans un monde fait d’énergie et de matière, les systèmes complexes et compliqués se présentent structurellement sous des formes très voisines. Les deux sont faits d’éléments, de structures, de liens, d’actions et de rétroactions. Voir plus de détails ici2. Dans le contexte qui nous préoccupe, ce qui différencie un système complexe d’un système compliqué est la façon dont ils se créent, de ce qui les régit et la manière dont ils évoluent.
L’évolution temporelle d’un système compliqué est régie par un déterminisme, par une intelligence logique qui suit un but relativement précis. Tous ses constituants sont connus, répertoriés, assemblés selon une logique documentée par des schémas, des plans, des calculs, etc. Ils sont en général démontables, parfois recyclables, parfaitement reproductibles. Le comportement et l’évolution des systèmes compliqués sont donc modélisables par des algorithmes mathématiques. Les avions, les voitures, les ordinateurs, les centrales nucléaires, le système monétaire mondial, etc., sont des exemples de systèmes compliqués.
L’évolution temporelle des flux d’énergie, de matière et d’entropie d’un système complexe est régit par aucun déterminisme. Ce système évolue d’une manière quasi-aléatoire vers toujours plus de complexité jusqu’à ce que les flux d’énergie et de matière deviennent minoritaires par rapport à celui de la création d’entropie (désordre). Si cette dernière croit trop rapidement, alors le système s’effondre et tourne brutalement vers une forme de chaos. Dit de manière plus simple, un système complexe doit être vu comme le résultat d’événements survenus par hasard, au gré d’arrangements et de combinaisons aléatoires entre ses éléments, structures, etc., qui le compose. De ce fait, un système complexe est non modélisable quantitativement par des modèles mathématiques. Il est « indétricotable », indémontable. Il ne peut retourner en arrière en suivant le chemin inverse, il est irréversible. L’Univers, la biosphère, un biotope, un organisme biologique, et même notre civilisation maintenant mondialisée sont tous, selon cette définition, des systèmes complexes.
Si, dans cette façon de voir, les systèmes complexes correspondent à des systèmes essentiellement naturels, les systèmes compliqués sont majoritairement des systèmes issus de l’intelligence humaine.
Concentrerons nous maintenant que sur les systèmes complexes.
Un système complexe ne peut pas naître à partir de rien et ne peut exister juste par lui-même, pour lui-même. Il a besoin de flux d’énergie3 et de matière4. Où va-t-il les trouver ? Nous verrons plus tard qu’il les puisera au sein d’un autre système plus complexe que j’appellerai système complexe-parent.
Pour ne pas trop compliquer mon propos, je mettrai provisoirement de côté les flux de matières pour ne parler que de flux d’énergies utiles.
Tout système complexe a besoin de 3 types de flux d’énergie pour exister et fonctionner. Il lui faut d’abord un flux d’énergie pour croître, un autre pour fonctionner et enfin un troisième pour son entretien, c’est-à-dire pour réparer les dégâts dus au temps. La somme de ces trois flux représente le flux total d’énergie à disposition. Pendant la gestation d’un système complexe, c’est le flux d’énergie de croissance qui prédomine alors que les flux d’énergie de fonctionnement et d’entretien sont encore faibles. Plus le système évolue, plus le système devient complexe, plus l’énergie totale dont le système aura besoin pour exister grandira. Toutefois, les 3 types d’énergie dont on a parlé plus haut, vont varier de manière différente. Alors que la fraction de flux d’énergie voué à la croissance du système tendra à diminuer avec le temps, celles des flux d’énergie de fonctionnement et d’entretien tendront à augmenter. Dans un système fini, comme par exemple notre biosphère, le flux total d’énergie ne peut pas tendre vers l’infini. À un moment donné, ce flux ne peut plus progresser. Il atteint alors une valeur limite qu’il ne peut maintenir au mieux qu’un certain temps. Dans ce cas, tout le flux d’énergie à disposition sera utilisé pour le fonctionnement et l’entretien du système. Passé ce cap, et parce que tout dans la nature se dégrade avec le temps, l’ensemble du système complexe va se déliter graduellement. Passé un nouveau cap, le système s’effondre, car il n’a plus assez d’énergie pour fonctionner et être entretenu normalement. C’est ce qu’il risque de se passer avec notre système économico-industriel qui soutient notre civilisation mondialisée. Nous y reviendrons.
En résumé.
Un système complexe naturel tel un organisme biologique, la biosphère ou l’ensemble des sociétés humaines formant notre civilisation mondialisée peut se définir par :
=> Une entité en relation avec son environnement interne et externe, constituée d’un grand nombre d’éléments et de structures, tous interconnectés par des liaisons plus ou moins fortes ou directes, et régulées par plusieurs actions et réactions.
=> Pour autant qu’il reçoive les flux d’énergie et de matière suffisants, la complexité ne peut évoluer que vers encore plus de complexité. Pourquoi ? Parce que le nombre de nouveaux composants augmentant, la probabilité qu’ils se rencontrent et se combinent entre eux augmente aussi.
=> Le développement et la croissance d’un système complexe au fil du temps n’obéit à aucune logique et à aucun déterminisme. Il se développe au travers d’une multitude d’arrangements et de combinaisons, quasi-aléatoires (et donc quasi-imprévisibles) de ses composants au cours du temps. C’est ce qui le rend à la fois irréversible et non modélisable mathématiquement. Pour se développer, fonctionner et s’entretenir, un tel système complexe demande à la fois un flux de matière et un flux d’énergie proportionnels à la complexité du système. Si ces flux devaient diminuer, alors le système ne peut retrouver l’état qui était le sien au moment où les flux d’énergie et de matière étaient plus petits. Lorsqu’il est privé de ses flux minimums de matière et d’énergie, alors la loi de l’entropie prend le dessus et le conduit vers un état proche du chaos.
En d’autres termes, tant qu’un système complexe dispose d’un flux d’énergie suffisant, proportionnel à son niveau de complexité, il croît naturellement jusqu’à ce que la somme des flux d’énergie de fonctionnement et d’entretien devienne égale au total du flux d’énergie à disposition. Atteint ce stade, le système complexe va se déliter au fur et à mesure que le désordre naturel (l’entropie) en son sein augmente, d’abord progressivement puis s’effondre carrément quand le flux d’entropie prend le dessus sur le flux d’énergie.
Où le système complexe de notre civilisation puise-t-il ses sources d’énergie et de matière pour continuer d’exister?
Il a été dit plus haut qu’un système complexe ne peut pas naître à partir de rien. Tout nouveau système complexe (appelé «enfant») émerge nécessairement d’un autre système complexe (appelé «parent»), duquel il tirera son énergie et ses ressources matérielles pour se développer, fonctionner et s’entretenir. Ce duo «parent-enfant» s’influence l’une et l’autre.
Rappelons que dans le cas qui nous intéresse ici, le système complexe-enfant est notre civilisation et le système complexe-parent est la biosphère. Ainsi, la croissance de la complexité des sociétés humaines constituants notre civilisation mondialisée, se fait grâce et aux détriments de la biosphère. Cette dernière va réagir en modifiant son équilibre instable3 en diminuant entre autres son énergie biophysique interne dont j’ai parlé dans le blog ” Parlons un peu d’énergie” du 4 décembre 2022. Cela se traduira par une modification de son climat et de sa biodiversité, c’-à-d de la chaîne alimentaire. En pratique, cela signifie qu’une fraction toujours plus grande de la population mondiale n’aura plus suffisamment de nourriture et d’eau potable pour satisfaire ses besoins toujours plus importants. Les conséquences seront des famines, des pandémies, des révoltes, des guerres qui toutes conduiront à une importante mortalité. De plus, le système complexe-parent (la biosphère) ne pourra plus fournir les énormes flux d’énergies et de matières nécessaires au bon fonctionnement de la civilisation. Ces flux subiront la loi naturelle des rendements décroissants que j’ai traités dans le blog du 28 janvier 2023. Ce qui risque d’arriver est décrit dans le blog du 3 février 2023.
À cause de l’irréversibilité des systèmes complexes, nous ne pouvons pas espérer que les futures générations reviennent au niveau de vie des années 50 ou 60, quand la consommation mondiale d’énergie était quatre fois plus faible que maintenant. Les générations futures ne pourront pas revivre ce que leurs ancêtres ont connu.
Peuvent-ils alors espérer que la complexité de notre civilisation diminuera à un rythme suffisamment lent pour leur permettre de s’adapter au nouveau flux d’énergie ? Cela pourrait bien être le cas au début de la décroissance, c’est-à-dire quasiment maintenant. Toutefois, si nous procrastinons trop et que nous nous entêtons à vouloir sauver coûte que coûte notre modèle économico-industriel alors, passé un certain seuil de manque chronique de flux d’énergie, nos sociétés risquent de se détériorer si rapidement qu’aucun ajustement au niveau mondial ne sera plus possible. La civilisation se dégradera de plus en plus rapidement jusqu’à son effondrement total. Ce ne sera pas pour autant la fin obligatoire de l’humanité.
Ce qu’il faut retenir : l’ensemble des activités humaines, soutenu par les énergies utiles à l’Homme, celles qui ont justement permis à notre civilisation de se développer, est allé beaucoup trop loin en termes de modification et de non-respect de son système complexe-parent : la biosphère. Cette dernière va alors réagir par différents mécanismes, faisant de sorte que la population mondiale et ses activités soient ramenées à leurs portions congrues. En d’autres termes, les structures de notre civilisation ont un grand risque de se déliter progressivement, ramenant sa population et ses activités à un niveau acceptable pour la stabilité de la biosphère.
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1 https://fr.wikipedia.org/wiki/Syst%C3%A8me_complexe
2 https://www.durabilitedudeveloppementdurable.weebly.com/-notre-civilisation-repreacutesente-un-systegraveme-complexe.html
3 Équilibre stable et équilibre instable. Un élément est dit en équilibre stable lorsqu’écarté de son point d’équilibre, il y revient toujours, même si c’est après quelques oscillations autour de ce point.Exemple : une bille à l’intérieur d’un bol. Le point d’équilibre est au fond du bol. Si on écarte la bille de ce point, elle finira toujours par y revenir. Un élément ou un système est dit en équilibre instable lorsqu’il n’y a pas de point d’équilibre fixe dans l’espace et dans le temps. Exemple : un équilibriste tenant sur son menton une perche sur laquelle il fait tourner une assiette. L’équilibriste et l’assiette ne peuvent pas rester toujours à la même place.Autre exemple : tout système évolutif et fonctionnel comme par exemple l’ensemble des sociétés humaines est en équilibre instable. L’équilibre est rompu quand il y a effondrement.
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